Associez-vous à ce texte surtout si vous faites partie comme moi des crapules qui soutiennent des crapules.
NOUS SOMMES DES CRAPULES QUI DEFENDONS DES CRAPULES
Certes,
ce n’est pas de gaieté de cœur que nous avons recours à ce langage peu
châtié, mais nous nous sentons tout à fait à notre place dans la
confrérie des insultés inaugurée lors de la manifestation des
sans-papiers, à Bruxelles, le 29 avril, alors qu’un avocat qui
s’inquiétait du droit des étrangers s’est vu traité de crapule qui
défend des crapules par un commissaire de police.
Ce serait un honneur, vraiment, d’y figurer.
Comme
ce serait un privilège également, de faire partie de la liste noire
établie par Brussels Airlines, aux côtés de Serge Ngajui Fosso, qui a
mérité cette place après s’être insurgé contre l’expulsion violente
d’un non-Belge (si l’on veut bien considérer qu’appliquer un coussin
contre la figure d’un expulsé récalcitrant pour le refouler
tranquillement n’est pas de la plus extrême douceur, merci).
A ce
propos, Ebenizer Folefack Sontsa, l’expulsé récalcitrant, est mort
depuis, dans le centre fermé où il avait été reconduit, en attendant
qu’une prochaine tentative d’expulsion eût pu se faire sans crapule
pour la perturber. Il s’est suicidé, dit l’Office des étrangers ; c’est
à voir, disent ses proches et son avocat.
C’est curieux d’ailleurs,
quand on y pense, qu’un sans-papiers puisse encore avoir des proches et
un avocat, qui vont même jusqu’à discutailler sur sa façon de mourir.
Est-ce normal? N’y aurait-il pas moyen de simplifier tout ça, de faire
en sorte qu’un sans-papiers soit aussi un sans-proches et un
sans-avocat, surtout quand il devient un sans-vie? Ce serait plus
facile pour la police, pour l’Office des étrangers et pour Brussels
Airlines, de vaquer à leurs petites affaires d’expulsion, d’étouffement
et de maintien de l’ordre, sur la voie publique et dans les avions.
On ne le saurait pas.
En
attendant, et ça se sait, des hommes, des femmes et des enfants sont
traqués, arrêtés, envoyés dans des centres fermés, étouffés parfois,
acculés au suicide, ou déclarés morts, chez nous, et non pas dans une
quelconque république africaine qu’irait sermonner un ministre des
Affaires étrangères féru des droits de l’homme (c’est juste un
exemple). Mais les droits de l’homme sont à géographie variable,
n’est-ce pas?
Et pour quelle raison sont-ils traités de la sorte?
Parce qu’ils existent et parfois même tentent de vivre- nous avons beau
nous creuser la tête, nous ne voyons pas d’autres raisons - et que cela
dérange.
Ainsi faut-il constater, pour résumer, qu’un sans-papiers
est un sans-rien, un sans-droit, un sous-humain qu’on peut jeter comme
une chose quand elle n’est pas utile, à la seule différence que,
contrairement à la chose, ce sans-gêne peut crier, et qu’il est donc
nécessaire de recourir au coussin pour le faire taire, c’est un peu
plus ennuyeux. Et il est évidemment crapuleux de sa part de revendiquer
le droit d’exister et d’être traité en n’importe quel endroit de ce
monde comme un être humain (un quoi ? demandent les non-crapules), avec
respect et humanité.
Et alors, oui, il est tout aussi crapuleux de
défendre ces crapules qui se targuent d’exister, crapuleux de se battre
pour qu’ils soient… ce qu’ils sont en réalité, des êtres humains
pareils à nous (pardon, des crapules), et crapuleux de le proclamer
comme une évidence, haut et fort, que ce soit dans la rue, dans cette
lettre, ou dans un avion de Brussels Airlines.
Ca fait un peu bête,
dit comme ça, plat, trivial, genre vérité crapuleuse : un être humain
égale un être humain, on va finir par se répéter…
Voilà pourquoi
nous sommes, oui, décidément, des crapules (c’est-à-dire des citoyens
ordinaires), fiers de l’être, mais honteux de la politique scandaleuse
menée par notre Etat à l’égard des étrangers indésirables. Si vous
aussi vous vous sentez un peu en colère, un peu écœuré, ou beaucoup,
mais un peu seul, bienvenue au club des crapules, on ne sera jamais
trop : en ce qui concerne notre qualité élémentaire que l’on appellera,
pour faire vite, l’humanité (encore un gros mot c’est sûr), et qui
constitue notre patrimoine commun, si si, y’a du boulot ; un boulot
crapuleux.
Si vous désirez cosigner ce texte, vous pouvez le trouver sur le site : www.revuenouvelle.be