Che(è)r(e)s Ami(e)s... (c'est compliqué le masculin-féminin !)
En vérité, ce message s'adresse plus particulièrement à Papi, dont je trouve la question très belle, très émouvante.
Sans doute le fait d'avoir été confronté à de "dures épreuves" rend-il plus sensible à l'épreuve des autres, sans doute le fait d'avoir vu l'horreur de près rend-il plus sensible à l'horreur vécue par les autres, sans doute le fait d'avoir été écrasé(e) par le malheur rend-il plus sensible au malheur qui en a écrasé d'autres.
Oui, sans doute.
Mais tu le remarqueras, cher Papi, parfois, c'est le contraire.
Certains de nos frères humains trouvent dans leurs épreuves, leur horreur, leur malheur, une "raison" d'être insensibles au sort comparable des autres.
Ce que les psy appellent le repli sur soi, pour faire court.
Et inversement, il n'est pas nécessaire d'avoir subi ce sort pour être sensible à celui de qui l'a vécu.
En d'autres termes, il n'y a pas de règle.
Car ni la sensibilité, ni le coeur, ni la COMPASSION n'obéissent à une quelconque règle.
Je ne saurais dire pourquoi j'ai développé une particulière sensibilité à ce malheur indicible subi par les juifs victimes de la barbarie nazie, encore qu'il ne s'agisse pas du seul malheur de l'humanité auquel je sois sensible.
Je sais en revanche que je n'ai pas attendu de connaître l'absolu malheur dans ma propre vie pour être sensible à ce malheur.
En cela, je réponds à ta question, Papi.
Quant au devoir de mémoire : c'est un devoir humain, tout simplement.
Car toute souffrance inique, tout supplice INHUMAIN infligés à l'un seul d'entre nous, sont infligés à l'humanité toute entière.
Chacun de nous est FORCÉMENT concerné, atteint, par le malheur qui ne trouve sa cause que dans les forces du MAL.
On peut pleurer pour la mort d'un enfant malade, pour la disparition accidentelle et stupide d'une personne en bonne santé, pour le suicide d'un être qui a renoncé à être vivant, pour TOUTES CES DÉFAITES DE LA VIE.
Mais le devoir de mémoire dont je parle, c'est autre chose.
Il s'agit des martyres ayant pour seule cause, pour seule "explication" la méchanceté, l'insanité, la perversité, la folie destructrice, les pulsions meurtrières dont l'histoire de l'humanité est cousue.
Le devoir de mémoire est alors totalement indépendant de notre propre vie, des événements douloureux ayant affecté notre propre vie.
À l'égard de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants qui ont vécu l'enfer sur terre, qui ont été persécutés, torturés, avilis, niés dans leur humanité même, martyrisés, soumis aux pires atrocités, nous avons un devoir de mémoire, peu important le contenu de notre vie propre.
Un devoir d'humanité.
Pas seulement de compassion, d'émotion.
La compassion et l'émotion, c'est "facile" : contemplez une seule seconde le regard de cet enfant juif du ghetto de Varsovie, les bras en l'air, menacé par des SS en armes, et dites-moi si vous n'avez pas les tripes à l'envers au spectacle de cette image insoutenable, dites-moi si vous ne versez pas des larmes de révolte et de douleur.
Le devoir de mémoire, oui, c'est autre chose que la compassion et l'émotion.
Car sans notre mémoire, sans notre mémoire têtue et humble, comment ces victimes des forces du mal pourraient-elle trouver la paix ?
Et nous, si nous ne les honorons pas de notre mémoire, nous sommes misérables.
Nous, qui avons la chance d'être en vie et d'avoir le droit d'être en vie.
Sans "étoile jaune".
Ce symbole de l'étoile jaune étant pris ici, vous l'aurez compris, comme le symbole de la barbarie.
Je sais bien que les six millions de juifs exterminés pendant la seconde guerre mondiale ne sont pas les seules victimes de la "barbarie à visage humain", mais il faut quand même se rappeler - mémoire, donc - que cette monstruosité est "inédite" dans l'histoire de l'humanité.
Qu'elle a dès lors la force terrible de la leçon qu'il nous est interdit d'oublier.
Cher Papi, cette année 2006 est celle du soixantième anniversaire du procès de Nuremberg, le fameux procès fait par la communauté internationale aux criminels nazis.
Le moment pour nous, heureux ou malheureux dans notre vie personnelle, de nous rappeler ce que veut dire le "devoir de mémoire".
Parce que, que nous le voulions ou nous, ce terrible malheur infligé à nos frères humains a mis une dette à notre charge.
Pas une dette de culpabilité, nous n'y sommes pour rien.
Une dette de mémoire.
Amitiés.
Véronique